The increasing phenomenum of wandering for young people in our cities led many clinical psychopathologists specialists of adolescence to pay more attention to it, and to try and understand its fundamental psychopathological motivations. In general, studies on adolescence insist on the relations between the symptomatic outward signs and the social and cultural organisation. The phase of adolescence is related so much, to the world in which it develops. As well as presenting a synthetic picture of the psychopathology of wandering, this study suggests the reading of hypothesis concerning the links it has with some aspects of contemporary culture. If the clinical observations and the anthropological works have constantly stressed the lack of rituals in life and lack of symbols in space, it seems to us that modern culture has nowadays created around the concept of “programme”, a way of structuring the connection to the world, founded on science and technique that must be taken in to account. Our hypothesis is that psychopathology of wandering for young people seems to be in opposite to this way of structuring, and sometimes, its rejection through its symptoms.
L'errance n'est pas un fait nouveau propre à la société contemporaine. L'usage du terme remonte au XIIe siècle et lie étymologiquement iterrare et errare, c'est-à-dire l'itinéraire et l'erreur. Il atteste l'existence d'un phénomène ancien qui revêtira plusieurs formes et recevra des dénominations différentes et des traitements spécifiques selon les époques. Généralement, ce traitement était coercitif et relevait de l'ordre public, tant l'errant, en tant que celui qui va son chemin sans but, est une figure inquiétante et insaisissable. Ce n'est que tardivement qu'il entre dans la logique de la prise en charge sociale. Pour ne prendre que le XIXe siècle, le vagabond a cristallisé des inquiétudes et des craintes dont témoigne la littérature, telle la figure de Jean Valjean dans Les Misérables de Victor Hugo. Des travaux historiques ont montré que beaucoup de ces vagabonds étaient des adolescents venant de milieux populaires, lâchés ou renvoyés par leurs familles dans l'incapacité de subvenir à leurs besoins [13]. Mais on signale également une errance bourgeoise, où laisser le jeune homme faire l'épreuve de son chemin, en un temps limité, s'apparente au voyage initiatique aristocratique de naguère. Plus près de nous, les routards et les beatniks des années 1960–1970 sur les chemins de Katmandou étaient peut-être proches de cette dimension initiatique, missionnaire et mystique, où la route était le support métaphorique de la recherche intérieure, tendue vers une idéalité inaccessible, toujours vers l'ailleurs.
Tout autre est le phénomène de l'errance des jeunes (garçons et filles) dans les cités contemporaines du monde hyperindustrialisé. Si l'errance a un rapport étroit avec l'adolescence et les vicissitudes de son passage, les jeunes errants qu'il nous arrive de voir dans des rencontres brèves, précaires, parfois sans lendemain, ou après des détours et des retours catastrophiques, relèvent d'une condition différente.
Malgré la complexité des trajectoires individuelles, nous pouvons distinguer quelques traits généraux. Ce qui frappe chez les jeunes que nous rencontrons, c'est l'impulsivité de leurs déplacements qui relève en même temps de la fuite et de la recherche, sans qu'ils puissent leur assigner un objet déterminé. Cette fuite-recherche, énigmatique pour eux autant que pour nous, est commandée par un mouvement incontrôlable, sans but, où prévalent l'immédiateté, la rencontre hasardeuse et passagère, l'exposition aux dangers, la mise à l'épreuve de leur corps jusqu'à l'exténuation. Alors même que le refus d'adhérer au lien social est une constante chez eux, ils ne cessent de revendiquer leur errance comme un bien inestimable, comme la seule cause à laquelle ils tiennent. Ils la revendiquent, se donnent à elle corps et âme, jusqu'à y identifier leur personne, en s'affublant par exemple de surnoms tels « Fuitus », « Roule-toujours » ou « ERER », ainsi que je l'ai appris de certains adolescents rencontrés dans une consultation de l'Aide Sociale à l'Enfance.
L'aisance avec laquelle ils associent librement les espaces et les itinéraires contraste avec la pauvreté fantasmatique et verbale, la fragmentation de l'histoire personnelle, le peu de communication des affects que nous constatons à leur approche. L'errant fuit et cherche quelque chose qu'il ignore, ai-je proposé ; en fait sa fuite-recherche ne vise qu'elle-même, comme s'il ne devait jamais rencontrer ce qu'il cherche, ne jamais savoir ce qu'il fuit. Il y aurait un danger à aboutir, à arriver, à trouver, à s'arrêter. On peut supposer que l'arrêt menace son existence et qu'en la disséminant, en l'éparpillant ici et là, il lui donne la puissance ubiquitaire du spectre d'être partout et nulle part. Les errants craignent les formes de mise en demeure qui s'apparentent pour eux à une mise en tombeau. Errer pour survivre, errer pour ne pas se sentir vivre, errer pour faire le vide, errer pour échapper au vide, ces propositions ne sont contradictoires que pour les sédentaires que nous sommes, menacés par leur divagation et qui les menace aussi par notre désir implicite de les amarrer. Il faut donc nous résoudre à accepter des bouts de racines qu'ils jettent de temps en temps en nous demandant de prendre soin d'elles, tel cet adolescent qui revenait de ses parcours en confiant à l'institution, où il trouve refuge passagèrement, des plantes à soigner pour lui, en attendant son prochain retour. La vie des errants dans la rue les expose à tous les risques : drogues, délinquance, viols, violences individuelles et en groupe. L'errance apparaît comme la traversée continuelle d'une épreuve ordalique où les espaces décident de l'issue.